Par L'Étranger
Quand un homme démolit rencontre l'Innommable...
Hommage à H. P. Lovecraft.
Version française originale
Ce texte est présentement en cours d'adaptation. Plus d'informations ici .
Dans la stupeur, dans la noirceur,
Je vois des choses que les autres ne voient pas;
Dans la terreur, dessous les heures,
Je vois des choses qui n’existent pas.
L’appel de la noirceur en est un que l’on ne peut taire; les ravages de la solitude n’ont d’égal, sur l’échelle de la satisfaction, que la perspective de son propre esseulement.
Des oiseaux décorant le ciel, l’herbe dansant sous le soleil, un tableau tout en couleur animé par le doux bourdon d’une rivière adjacente conversant avec son environnement — et pourtant, seules des pensées de mort peuplaient encore son esprit.
Lovecraft avait raison. Non pas qu’il essayât de prouver quelque chose, mais il avait tout de même raison. Perdre l’esprit n’a rien d’une perte de contrôle, ni d’une pathologie; ce n’est ni une faiblesse, ni même un handicap : on n’échoue pas à la perception, ou à l’entendement de l’information, à son assimilation, mais plutôt à sa compréhension, c’est-à-dire à atteindre quelque information pour l’embrasser dans son entièreté. L’Innommable peut être décrit, or de le proprement nommer reviendrait à localiser la source de — bien plus importante qu’une destruction — d’une hypertrophie; d’une spirale «escheresque» à la fois en pleine expansion et repliée sur elle-même, terminant exactement là où elle commence dans une continuité infinie. Tel est le genre d’information qui gruge son chemin à travers l’esprit plus rapidement que ce dernier n’est en mesure de suivre, le laissant seul à la dérive sur le fleuve du néant; une vérité qui ne peut être révélée, mais seulement éprouvée.
Et comment souffrir l’opacité du réel, après avoir goûté la pureté du phantasme? Peut-on concevoir une synthèse des deux, une porte qui donnât sur l’essence même du solipsisme? Un endroit où les sens et l’esprit s’emboîtent les uns dans les autres avec l’impeccabilité du diallèle, le cercle non pas vicieux mais lubrique de l’autoréférence, un endroit qui donnerait naissance, à son tour, à l’esseulement absolu au sein duquel la tangibilité d’un être n’est plus régie par son existence, sa manifestation; bien plus qu’une transe, existerait-il un parfait équilibre entre absence et ubiquité?
C’est en rêve qu’elle lui apparut pour la première fois. Déjà depuis l’autre côté du pont qui séparait cette vision de ce qui alors constituait pour lui la réalité, il émanait de cette cabane, devant laquelle il se tenait maintenant, une sorte de danger, voire une menace, comme s’il se cachait à l’intérieur une force qui possédât son propre vouloir. Néanmoins, l’attraction qu’exerçait sur lui ce tableau, en apparence pourtant si banal, était indéniable. Le sommeil, au fil des jours, l’avait quitté peu à peu, l’appel, sinon même la sommation, de plus en plus urgente — et la volonté d’y résister, de plus en plus faible.
Y a-t-il en effet une peur plus incapacitante que celle de l’annihilation imminente de sa sécurité spirituelle? Cette idée d’être à un pas, à un mantra seulement, non pas de l’Éveil bouddhique mais plutôt, au contraire, d’un endormissement philosophique, pour ne pas dire encore mythologique; un désagrégement de toute les valeurs, de tous les systèmes, pour ne laisser plus que l’essence spongieuse d’un être baignant dans ses pensées, et éprouvant ainsi passivement la nature du monde.
Il est un nombre restreint de gens qui ont la capacité de voir le monde dans toute sa fluidité. Il serait bien sûr tout à fait grotesque pour quiconque de prétendre en avoir par là une vue complète, absolue. Or, on est forcé d’admettre que, lorsque la perspective d’une telle lucidité tombe sur soi, on se sent souvent contraint de la poursuivre. C’est pourquoi, méditant devant ce portail dont il intuitionnait déjà la destination — lui qui, il y a si peu de temps encore, s’était résolu de mettre fin à ses jours un instant à peine avant que ce même tableau ne l’en détournât — il avança.
Le cœur battant d’excitation, d’engouement, mais aussi d’appréhension, de danger, il posa une main tremblante sur la porte entr’ouverte, et avala sa salive — ou plutôt tenta d’avaler ce que ses glandes lui refusaient. En fait, son corps tout entier semblait atteint d’une sécheresse qu’on n’éprouve d’ordinaire qu’au contact soudain d’un froid extrême, un froid pourtant bien absent — mais lorsqu’il poussa la porte et que se révéla enfin à lui ce qui se cachait à l’intérieur, il ne vit rien; rien qui fût physiquement discernable; rien qu’une noirceur absolue et dense, sans la moindre lueur, ni le moindre reflet pour le guider, comme si le sol à ses pieds n’était plus qu’une toile lestement tissée, laissant le soleil qui s’écoulait autour de lui telle une rivière contournant un rocher, disparaître sous la surface.
Ses pupilles s’élargirent, sa respiration s’accéléra, son cœur s’arrêta — du moins c’est ce qu’il lui sembla, frappé par le silence jusque-là impensable de cet organe, étant donnée l’impudence avec laquelle il avait fanfaronné tout au long du trajet. L’air, alors, s’épaissit; à travers les quelque trois pas qu’il fit avant de refermer la porte, séquence à peine volontaire qui sembla durer des heures, la difficulté n’était pas celle d’inspirer, mais bien plutôt de conserver le souffle infini qui le quittait dans une noyade à rebours; enfin, il disparut du monde physique.
À l’intérieur, dénudé de corps et d’âme, le sexe mou mais néanmoins pulsant d’une anticipation aveugle, l’épiderme effervescent, il continua d’approcher dans l’absence — mais de quoi? Et dans l’absence de quoi? Où était-il? — Guidé par le rideau de fumée qui rampait à ses pieds, comme s’il venait tremper ses orteils dans la rive du Styx avant d’y plonger, il s’arrêta devant une lueur naissante : une chaise, devant lui, l’attendait.
Malgré sa confusion, la première idée qui lui vint à l’esprit fut celle d’un trône, emblème du Nouveau Monde, de l’Autre Monde, sa récompense pour l’acceptation de son destin. Enivré par cette notion, bien qu’imperceptiblement, intrinsèquement, cependant un doute germa : car il n’y avait qu’un seul siège, et quoiqu’il s’y sentît chez lui, il n’en demeurait pas moins évident que ce lieu ne lui appartenait point. Il n’était pas seul.
À quelques pas derrière, enfouie dans le sein de Gaïa la Terre Mère, la silhouette momifiée d’une femelle — car il serait ici non seulement fort inadéquat, en termes humains, mais aussi prématuré, d’appeler cette entité, cette présence, une femme — se dessinait sous la fumée, les bras croisés sur la poitrine, lévitant vers la surface. Les yeux fermés, encore inconsciente de sa propre manifestation, c’était son temple à elle, dissimulé sous le délabrement, alarmé par cette soudaine violation, qui l’avait sortie de sa latence. Elle ouvrit lentement des yeux vides et qui laissaient à la fois s’écouler une noirceur épaisse que le volcan de son essence suppurait. Sans le moindre son, sans le moindre effort, l’entité se redressa d’un mouvement simple et constant afin d’avoir devant elle l’intrus. Il apparut aussitôt à ce dernier que les rôles étaient inversés : c’était bien elle, et elle seule, la souveraine — bien plus qu’une reine, une force dans cet Univers — tandis que lui, simple mortel : rien plus qu’un égaré.
Mais l’était-il vraiment? Crispé d’inconfort, il ne daigna pas se retourner, tandis que dans un crescendo d’omniprésence, en pleine reptation la femelle progressait vers sa proie. Il ferma les yeux, l’instant précédant d’abord le contact derrière lui d’un corps nu contre le sien, un qui n’émettait ni chaleur, ni fraîcheur, suivi des bras qui l’épousèrent en rampant avec l’agilité de deux boïdés, et enfin d’une joue contre la sienne, d’une bouche contre son oreille, d’un message contre son intellect : le chuchotement de cette voix qu’il avait entendu en rêve, impossible à discerner, impossible à déchiffrer pour personne d’autre que lui.
Ses paupières se resserrèrent, comme la rencontre de deux ennemis sur un champ de bataille, et dans un soupir, la silhouette disparut, aspirée par le vide derrière eux. Alors, il ouvrit les yeux. Là où se trouvait, il y a un moment à peine, une chaise, il n’y avait plus maintenant qu’obscurité. On dit souvent d’un enfant qu’il est doté d’une sorte d’intuition, d’une pureté lui permettant de voir le monde dans sa forme la plus banale, la plus naturelle, c’est-à-dire avant d’être souillé par la raison humaine, par le jugement. Voir le monde sans filtre… Or comment se fait-il que cet enfant ait peur du noir? On dira qu’il a peur de ce qu’il ne voit pas, tout simplement : et si cet enfant n’avait pas peur, indirectement, tout sottement, des vêtements qu’il y a dans son placard, donc de rien du tout, mais bien plutôt de je-ne-sais-quoi auquel seul un regard sans filtre peut accéder? Telle était la question qui le distrayait, tandis que son regard fixait le vide — le vide, ou autre chose?
L’air sembla se réchauffer tout à coup, la sueur perlant sur son corps. La silhouette reparut devant lui, marchant droit dans sa direction. Un frisson le parcourut, le même qui l’avait frappé ce jour où il faillit tomber d’une falaise. Elle était grande — plus grande que lui, même si cela n’avait rien d’un exploit — et svelte, quoique dotée subtilement d’une certaine carrure musculaire qui la rendrait imposante à quiconque. Ses cheveux, pâles quoique d’une couleur indéterminable en raison soit de l’éclairement, soit d’une quelconque propriété cachée, lui collaient à la peau. On aurait cru à une vapeur d’eau immatérielle qui émanait du sol, rendant chaque centimètre de peau adhésif et luminescent.
Elle s’arrêta brusquement en posant une main sur la gorge nerveuse de l’homme avec une rigueur, loin d’être belliqueuse, qui donna avant tout une impression de curiosité stricte et passionnée; une curiosité, en quelque sorte, à des fins d’observation, comme pour inspecter la qualité de sa nouvelle acquisition. Il prit une grande inspiration, et sous la pression grandissante de la main qui le tenait, il se laissa pousser jusqu’à la chaise tout à coup derrière lui, comme si ce n’était pas lui mais l’Univers entier qui tout autour de lui s’était renversé, et s’y laissa tomber.
Elle abandonna la Vue sur le trône éthérique de la supériorité des sens et laissa plutôt l’Odorat la guider dans sa recherche d’un défaut, du moindre indice qui suggérât une inadéquation. La prédatrice flairant sa proie, pensa-t-il encore, mais cette fois sans une once de peur, ni même de méfiance, ou encore d’inconfort. Il se soumit à l’étude, mu par l’intuition on ne peut plus inconsciente de sa conformité.
La femelle leva brusquement la tête afin de le regarder dans les yeux, presque étonnée de n’avoir rien trouvé d’imparfait. Elle transféra sa prise de la gorge à la mâchoire, et d’un brusque et long coup de langue vertical sur les lèvres de l’être qui paraissait de moins en moins humain, de moins en moins concret, c’est-à-dire pour elle de plus en plus enivrant; penchée ainsi au-dessus de lui, elle en confirma la perfection. Elle enjamba alors la chaise, posant un pied de chaque côté du récent élu dont le membre grossissant, comme muni d’un aimant, progressait en parallèle avec l’exponentielle proximité de sa nouvelle reine. Tel le bout de papier qu’on jette dans les flammes, le corps de l’homme, quoique à un niveau quasi-imperceptible — c’est-à-dire inaccessible à l’infériorité des sens humains, mais d’aucune façon à ceux de la femelle — se tortilla non pas de douleur mais d’inconfort, d’un inconfort inhérent à la perte des illusions, bouleversé par la chaleur qu’elle dégageait désormais.
À quel point est-ce donc qu’une chaleur intense et immédiate provoque au contraire un sentiment de fraîcheur? Car c’est précisément l’effet qu’elle lui fit lorsqu’il entra en elle, ou plutôt, serait-il préférable de dire, dès l’instant que son sexe à elle engloba le sien, et quoique à travers une avalanche de stimulations — le moindre contact si puissant que son cœur, avant même la possibilité de se hâter dans son travail, semblait plutôt frappé d’oisiveté, voire de contemplation, comme un chevreuil aveuglé par les phares — avec une facilité qui démontrait la disposition synchrone de leurs corps, la tension muette qui ne nécessitait aucune préparation, ses lèvres, après avoir embrassé la délicate surface d’un gland gorgé de sang, glissèrent on ne plus doucement tout au long de sa verge jusqu’à ce que leur pubis se touchent.
Le torse de l’homme se bomba; le dos de la femelle se courba, puis elle pencha la tête vers l’arrière, comme pour observer le ciel. Cela n’avait rien d’une escapade, ou d’une frivolité, ou d’une simple jouissance. Tel le hululement d’une louve dans la nuit, cet appel aux dieux venait de faire naître un bourdon, un grondement, résonnant à travers leurs corps, et au rythme de la friction de ces derniers, des vagues d’illuminations, des vagues d’intuitions déferlèrent dans l’esprit du mâle non pas soumis, mais bien dévoué. Cela avait tout d’un accouplement.
Ici, le terme «esprit» prend tout son sens. Toutefois il ne faut pas l’entendre au sens religieux. Si le latin corpus, le corps, s’oppose à animus, à l’âme, à cette dernière s’oppose spiritus, l’esprit, du verbe spirare, souffler, respirer, c’est-à-dire, le souffle de vie, le divin. Or si l’âme est ce qui fait que l’animal se puisse mouvoir, être animé, ce souffle fait d’un être qu’il se sente doué d’une espèce de perfection innée, dont l’esprit, le siège des pensées, est la source. Cependant, au sens plus large, de même que je retrouve de l’esprit-de-vin, ce qui en constitue l’essence, une forme concentrée, puis-je aussi retrouver de l’esprit-d’être? Un sorte de pensée liquide que seule une main experte sache distiller? Il y avait dans ce va-et-vient de plus en plus vif un principe d’alchimie, et la vigueur avec laquelle la femelle colla son front contre l’autre ne fit qu’en confirmer le pouvoir. Elle poussant contre lui, et lui contre elle, leurs visages ainsi confrontés, son souffle à elle quittant son corps pour entrer dans le suivant et vice versa, tel le pendule d’une horloge ontique infinie, l’engrenage tourna, et à la manière d’un somnambule il ressentit l’impératif de participer activement au moment.
Aux sens propre et figuré, tel un aveugle qui s’apprête à ne l’être plus, il ouvrit les yeux. Il plaça fermement ses bras sous les jambes de la femelle, puis se redressa. Malgré la gravité de sa chair, elle semblait n’offrir aucune résistance à être portée; aucune résistance verticale, certes, mais d’une manière étrangère à la raison, déroutante pour les sens, une résistance davantage horizontale, comme traversant difficilement à grands pas le fluide vital de leur communion. Le réel, jusque-là disparu, redevenait peu à peu tangible, et le grondement qui le titillait se laissait maintenant parfaitement entendre.
Son subconscient lui fit alors comprendre une chose : seul un monde sans filtres est en mesure de nous en faire comprendre, d’un point de vue purement philosophique, et la nature, et l’étendue. Or il n’y a pas de monde sans filtres, avait-il toujours pensé, aucun esprit ne serait capable d’en supporter la pureté. — Et s’il y avait une alternative? Une espèce d’état de non-lieu, qui n’est pas une absence. Il lui avait fallu disparaître, une amputation temporaire, pour pouvoir être réinséré dans le monde goutte à goutte. Il y avait là deux longueurs d’ondes dissonantes qui se rejoignent, leurs enveloppes charnelles faisant figure d’un seul et même instrument, comme deux moitiés de ciseaux — entendu qu’elle-même en eût une, qu’il s’agît ou non d’un leurre — non pas à la manière de virtuoses mais d’un accordage tout simple, tandis qu’il augmentait la fréquence de ses pulsions, la cadence de ses mouvements. Bien loin d’une danse, circulant debout dans cette cabane qui reprenait forme autour d’eux, il la plaqua contre le mur.
Ce mouvement aurait eu quelque chose d’agressif, de féroce, voire même violent, vu d’un œil extérieur, or il serait tout-à-fait inacceptable de parler ici d’hostilité. Il y avait derrière ce mouvement une intensité inhumaine que seule la collision de deux univers peut générer. Aucune animosité, mais bien plutôt une animalité passionnée. Une union charnelle et primale. Il entrait et sortait de sa chair de façon presque machinale, subliminale, chaque bouffée d’air qu’il inspirait au raz de la nuque lustrée de sa reine, leurs torses glissant l’un contre l’autre, lui faisait l’effet d’un psychotrope, alimenté par, et alimentant en retour un cycle de Vril perpétuel.
Un frisson, une vibration la parcourut; tout à coup, la charge qu’il soutenait jusque-là aisément s’alourdit, et ses muscles se tendirent. Quelque chose venait de se produire en elle, une sorte d’inversion des pôles. Le bourdonnement qui ne cessait de s’amplifier semblait provenir directement de son corps, émettant non pas un son mais une impression, et elle en était on ne peut plus consciente. Comme exécutant une chorégraphie, la femelle, d’une simple poussée, décolla son corps du mur et se laissa porter de quelques pas, avant de se remettre debout avec une légèreté déconcertante.
Elle saisit la main de l’homme, lécha quelques doigts afin d’en assurer l’humectation, et la plaça contre sa vulve aux lèvres pulpeuses, animées par les ondulations infinitésimales de son sang circulant puissamment à travers chaque nanomètre de son entièreté, afin de les y insérer. De toutes les significations possibles, allant de l’aguichage machiavélique au plagiat naïf, il y avait plutôt derrière ses gestes une sorte de transe, une invitation plutôt qu’une incitation; une invitation à la connexion.
Son majeur glissant le long du plafond de cet organe faisant souvent, sinon partout, du moins anciennement, office de microcosme universel, il tâta de son empreinte, il la lu minutieusement du bout du doigt jusqu’à ce qu’il atteigne ce mont si convoité; non pas celui, extérieur, de cette déesse bien connue, mais cette légère convexité à deux phalanges environ de l’entrée du lieu culte. Il fit de courts vas-et-viens verticalement circulaires en exerçant une pression vers le haut, accélérant de plus en plus, jusqu’à ce qu’il recueille par à-coups dans sa paume les émissions qu’elle attendait de lui offrir.
Il relâcha l’autre main qu’il avait dû poser fermement derrière la nuque de celle qui lui était apparue, à ce moment précis, davantage comme une adversaire qu’une partenaire — car il y a dans cette stimulation, quoique relativement plaisante, une intensité qu’un corps même consentant a généralement du mal à éprouver sans peine. Et l’intensité se fit sentir des deux côtés, quand elle trembla, lui semblait-il, au même rythme que ses muscles éreintés. Elle venait de lui offrir quelque chose, si ce n’est, en d’autres mots, de lui faire une offre, et maintenant c’était à son tour à lui. Soutenant son regard, elle le contourna puis, comme si seule la lumière que son corps reflétait, l’image qu’elle projetait, se distordait et faisait fi de toute propriété massique, elle arqua son enveloppe vers l’arrière afin d’apposer ses mains au sol dans une position structuralement troublante, pour l’humain, mais qui pourtant lui semblait tout à fait naturelle, prête à l’accueillir en elle.
Et il vint.
De tous les mots qui existent, dans bien des langues, pour décrire la suprématie de l’extase, il n’en est aucun encore qui puisse traduire l’état dans lequel ils se trouvaient tous deux — leur forme, leur substance — tandis que, ensorcelé, il avança, la main posée sur le pubis qui l’attendait, glissant le long de l’abdomen ferme et montueux de la femelle jusqu’à sa poitrine. Il entra en elle au même moment qu’il atteignit sa gorge, qu’il épousa d’une main tremblante; alors, il ondula. En s’approchant, en reculant, il ondula, de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’enfin il atteigne la limite de son humanité; une limite que son esprit seul, dépourvu d’enveloppe, isolé du reste de l’espèce, n’aurait jamais connue autrement.
Et il vint encore.
En s’effondrant au sol avec la génuflexion du guerrier qui, couvert de plaies, n’a plus aucune raison de se battre, de se survivre — car n’est-ce pas toujours contre soi que l’on guerroie? — comme si une force magique, le traversant comme dans un brouillard, venait de lui ôter son âme, ne lui laissant plus que sa carcasse pour rivaliser avec la lourdeur du Réel, sa semence le quitta. On aurait pu y voir un naufragé tout juste sorti de l’eau qui se délecte de la terre ferme, étudiant les jours de nage qu’il vient d’éprouver en soupirant. Mais parallèlement, qui eût fait partie de l’instant n’aurait aperçu qu’un homme épuisé à l’intérieur d’une cabane des plus aléatoires, à un souffle près de s’effondrer elle aussi; un homme seul, caché dans l’ombre, ensemençant le vide.
C’est ainsi que, amoindri, abattu, le souffle court, le regard vide — le néant l’engloutit…
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